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Photo Bastien Tricart

Imaginez !  Imaginez devoir vous déplacer à ski sur un glacier noyé de brouillard. L’enjeu ? Rejoindre un lieu où vous mettre en sécurité.

Derrière vous, quatre ou cinq personnes placent toute leur confiance dans votre capacité à diriger l’équipe à travers cette opacité totale. Vous devez les amener à bon port mais le manque de lumière directe gomme tout relief et l’absence de repère perturbe votre équilibre. Encordé pour limiter les conséquences d’une possible chute en crevasse, vous glissez, sans distinguer quoi que ce soit au-delà de l’extrémité de vos spatules. Votre smartphone, vaincu par le froid, s’est éteint et toute possibilité de recourir à votre logiciel GPS avec cartographie intégrée s’est évanouie.  Vous avez juste eu le temps de vous localiser une dernière fois et devez poursuivre votre parcours avec pour seuls instruments, une carte, une boussole et un altimètre.

la bonne direction

Photo Bastien Tricart

L’orientation sans visibilité, particulièrement en milieu enneigé, requiert les qualités indispensables à la conduite de tout projet en situation de forte incertitude.

Dans de telles conditions, vous êtes tenu de concevoir un itinéraire virtuel fondé sur des repères théoriques : angles de marche, altitudes et distances. D’expérience, vous savez que le plus court chemin n’est pas forcément le meilleur et il vous faut contenir l’envie d’en finir au plus vite. Lorsque des points identifiables existent, ils constituent autant d’opportunités qui justifient détours et efforts supplémentaires. A défaut, peu de choses sur les lieux permettront de vous assurer de votre position et si vous  pensez être théoriquement parvenu à l’endroit ou doit s’engager la phase suivante, rien ne vous permet d’en être certain.

Il faut évoluer d’estimations en suppositions et s’accomoder des différentes sources d’imprécision.

Celles de l’altimètre, des caps suivis à la boussole et de la carte topographique comme d’autres s’accomodent de possibles bouleversements économiques, innovations soudaines, revirements politiques, catastrophes naturelles ou pandémies ravageuses…

Malgré l’inconfort psychologique procuré par ces incertitudes, il faut avancer.

Le faire dans ces situations exige une solide confiance en soi comme dans ses équipiers. Il s’y ajoute des qualités déterminantes appuyées sur un entraînement conséquent :

  • Capacité de concentration importante.

Elle permet de « naviguer » efficacement sur de longues séquences tout en veillant à sa propre sécurité.

  • Capacité à déléguer.

Une partie de la sécurité collecive peut (doit) être prise en charge par les équipiers qui eux aussi devront s’impliquer, à leur mesure mais très sérieusement. Le temps consacré à leur formation se révèle alors un précieux investissement.

  • Forte capacité de distanciation.

Elle favorise l’attention à ses équipiers et à l’environnement malgré le poids des responsabilités supportées et permet de rester à la fois attentif et rassurant. Dans ces conditions, cela impose de se détacher de sa propre mission pour faire le point avec l’équipe et s’assurer que chacun(e) est toujours en mesure d’accomplir sa tâche.

  • Grande maîtrise de soi.

Le self-control permet de gérer linévitable présence du doute et de contenir la montée du stress, facteur de précipitation ou dindécision.

  • Lucidité de chaque instant.

Elle favorise la juste évaluation des marges d’incertitude, ouvre à l’identification des erreurs, des obstacles ou des opportunités et stimule l’adaptabilité. C’est elle qui permettra d’anticiper l’éventuelle impossibilité de parvenir au but et favorisera la gestion d’une situation de survie.


Ainsi, parvenir au terme d’une étape parcourue sans visibilité procure une intense satisfaction (et du soulagement aussi !). Celle d’avoir su relier avec justesse sa représentation de l’avenir à la réalité qui s’est révélée. Un plaisir que je souhaite de connaître à tous ceux qui s’engage dans l’incertitude.