Ressenti, émotion, écoute, empathie, bienveillance, autant de mots que les mondes du management et de l’éducation nous servent en toutes occasions, au point d’en faire les qualités incontournables du manager et de l’enseignant « moderne », soudainement ouverts à un humanisme au doux parfum de produit marketing.
Développés au cours de centaines d’articles, conférences, ouvrages, vidéos (il ne manque que « La bienveillance pour les nuls ») ces vocables finissent par prendre une texture sirupeuse à en devenir écœurante et disqualifient de fait celui ou celle qui, ne s’y reconnaissant pas, refuse d’en faire le viatique sensé le sauver des errements d’un management préhistorique.
La réticence à adhérer à cette « bienveillance » théorisée et enluminée, induit-elle pour autant que l’on soit insensible, sourd, indifférent ou, pire encore, malveillant ? On peut espérer qu’il n’en est rien et que se tenir à l’écart de ce paradigme du moment ne vaudra pas, à ceux qui s’en rendent coupables, d’être ostracisés, voire à jamais bannis. Et si je me permets de venir plomber un peu l’ambiance, c’est qu’à défaut d’être manager ou enseignant, mon parcours professionnel m’a conduit à m’interroger sur la meilleure façon de créer les conditions propices à l’expression des capacités d’individus désireux de progresser dans une activité à risques. Quelques centaines de journées consacrées à former des alpinistes à gravir des sommets plus ou moins difficiles en autonomie (la vraie : celle ou l’erreur est sanctionnée au prix fort) m’ont permis de constater qu’ils ne se révélaient pleinement que lorsque ils se sentaient en sécurité. Un sentiment pour le moins paradoxal dans un environnement aussi peu sûr que la haute montagne et qui trouve sa source, non pas dans des outils techniques ou des connaissances théoriques mais dans la confiance placée dans leur formateur (ou guide, coach, manager : au choix). Confiance dans le cadre d’action qu’il dessine, dans l’évaluation qu’il fait de leur potentiel, dans la pertinence de ses choix d’objectifs, dans la permanence de son attention envers eux, dans sa capacité à les aider à surmonter un obstacle, à faire face à l’imprévu. Confiance dans l’objectivité de son regard critique et dans l’intégrité de sa démarche… et je vais peut-être en rester là parce qu’il y aurait encore beaucoup à dire.
Créer cette confiance exige bien davantage que de la simple bienveillance et être un enseignant, un formateur, un manager sécurisant, ne se décrète pas. On se doute bien qu’il faut maîtriser son domaine de compétence, mais il faut surtout voir clair en soi, identifier précisément ses motivations, vérifier qu’il y figure une petite pointe d’altruisme et du goût pour l’énergie que dégage un collectif qui marche. L’intérêt pour l’humain et le fonctionnement d’équipe ne surgit pas avec la fonction. Si certain(e)s le porte en eux et le mettent à profit rapidement et avec talent, il faut davantage de temps à d’autres pour s’y ouvrir. Parfois, cela reste une « terra incognita » et toutes les recettes n’y changeront rien… Alors s’agit-il d’opposer la « bienveillance » à la « sécurisation »? Non, mais peut-être devons prendre le temps de jeter un regard critique sur cette psychologisation de la relation très tendance aujourd’hui et constater que, s’il est difficile d’être sécurisant pour ses équipiers sans être naturellement bienveillant, il est en revanche parfaitement possible (et on le voit tous les jours) d’être bienveillant et totalement insécurisant.
Salut Denis, tes articles et réflexions sont pertinents, amusants… bref intéressants !
Amicalement
F