Descente mont blanc trail

Tous ceux qui gravissent régulièrement le mont Blanc en été ont vu grandir sur l’itinéraire du Goûter le nombre de trailers sensibles au défi que représente l’ascension « express » du toit de l’Europe.

Rapidité, agilité, endurance : autant d’atouts que ces trublions de l’altitude font valoir face aux dangers que recèle le parcours, en contrepartie de la méconnaissance de l’altitude et du milieu glaciaire qu’on leur prête.

Pourquoi « trublions » ? Bien évidemment parce que ces pratiquants récents bouleversent les repères et renversent les valeurs comme d’autres l’ont fait avant eux (les parapentistes des années 90 en savent quelque chose).  Particulièrement dépouillé dans un univers qu’il est d’usage d’aborder avec précaution, muni d’un matériel adapté et appuyé sur une expertise avérée, le trail d’altitude suscite de nombreux froncements de sourcils chez tous ceux qui s’inquiètent de la grande vulnérabilité de ses adeptes. Parce que c’est bien de ça dont il s’agit : dans une approche « trail », l’ascension du Mont Blanc requiert des conditions optimales – météo stable, bonne trace en neige, vent modéré et visibilité assurée – compatibles avec la légèreté d’un équipement minimaliste entierement dédié à la performance. Des conditions que le changement climatique nous offre chaque été plus souvent mais qui n’en restent pas moins aléatoires. Il s’y ajoute une capacité à intégrer les effets de l’altitude qui n’est pas donnée aux premiers coureurs venus, lesquels risquent de sous estimer l’impact  d’une pression en O2 presque deux fois inférieure à celle du niveau de la mer sur leur organisme éprouvé par 3000 ou 3500m de montée rapide.

Bref, il est certain qu’aux risques que comporte l’évolution dans un environnement exigeant avec un équipement ultra léger s’ajoute un autre tout aussi redoutable :

Face aux décisions et devant la prise de risques, les trailers se comportent comme tout un chacun et il y a gros à parier qu’ils connaissent eux aussi, des difficultés à renoncer à leur projet, lorsque, tôt ou tard, des contraintes personnelles les conduisent à s’engager en dehors du « créneau » physique et/ou météo optimal. Tous ceux qu’on peut croiser par brouillard sur le dôme du Goûter, témoignent de cette propension à persister en dépit de marges extrêmement étroites.

Est-ce répréhensible ? A chacun d’en juger, Mais ce qui est certain, c’est que tôt ou tard, cette vulnérabilité très humaine, conjuguée à l’altitude et à de mauvaises conditions de terrain ou de météo, va manifester ses effets.

Avec pour résultat possible de conduire à l’hypothermie en quelques heures un coureur égaré au col du Dôme, victime de chaussures et d’un équipement trop légers, dérisoire protection face aux assauts du vent, de la neige et du givre. De telles mésaventures sont malheureusement déjà survenues. Et ceci sans parler des risques de dévissage ou des quelques crevasses bien réelles qui jalonnent discrètement le parcours et qui, dès ce mois de juin, ont conduit nombre de guides à rallonger leur encordement.

Il faut se rendre à l’évidence : déjà trophée convoité par les alpinistes d’un jour, le Mont Blanc est devenu le Graal des coureurs ambitieux trop souvent dépourvus de discernement.

L’absence sur le parcours d’évidentes difficultés techniques (de celles qui sautent aux yeux et empêchent les grimpeurs « normaux » de suivre par exemple, les traces d’un Alex Honnold en falaise) laisse croire que le milieu est dénué de véritables
dangers. Cette confusion peut se payer cher et compte tenu du faible nombre de coureurs « summiters » – quelques dizaines peut-être cette année -, deux décès en cette fin août, ça fait déjà un énorme taux de mortalité.

Usant d’un biais bien connu, certains objecteront que mieux vaut un bon trailer qu’un mauvais alpiniste…

…esquivant ainsi adroitement le fond du problème. D’autres soutiendront qu’en haute montagne, mieux vaut un mauvais alpiniste qu’un mauvais trailer, et on ne pourra pas leur donner tord. Les derniers, enfin se retrancheront derrière la « liberté de la montagne », s’affichant à poil au sommet de façon un peu puérile et prêtant à leurs contradicteurs des velléités totalitaires qu’on peine pourtant à identifier.

Car, pour finir, les évènements s’enchaînent sans véritable surprise. Que ferait la maire de Calais si tous les nageurs de piscine ou d’eau libre des Hauts de France se mettaient en tête de traverser la manche parce que certains y établissent des records ?

En prenant un arrêté d’interdiction d’accès au Mont Blanc aux prétendants non munis d’un matériel minimum, le maire de Saint Gervais les Bains est bien dans son rôle. Fort heureusement, ce n’est pas parce qu’on admet cet arrêté qu’on adhère à la personnalité de son signataire et confondre l’un et l’autre conduit à fausser la réflexion. Même si le personnage affectionne les postures polémiques et que ses prises de positions très radicales sur l’accès au Mont blanc,ne font pas de lui le meilleur porteur du sujet, force est de reconnaître qu’une réaction était inévitable et qu’à défaut, celle-ci aurait pu provenir de la préfecture. A moins, au contraire, que les gesticulations de l’individu ne conduisent celle-ci à prendre des distances.

Maintenant, que cet arrêté soit imparfait dans sa forme ou sur le fond ne change rien au problème, il existe et chacun aura compris son objectif : rappeler les exigences de l’univers glaciaire d’altitude et la nécessité de l’aborder en alpiniste.

Il n’est destiné ni aux professionnels, ni aux alpinistes compétents, solitaires ou encordés, qui n’ont aucune raison de s’en inquiéter. Et l’idée que des contrôles aient lieu ne tient pas debout. Quant aux spécialistes de la course, rien ne leur interdit de se doter d’un matériel adapté au terrain (il en existe du pas si lourd), de prendre 25m de corde et, si besoin, d’apprendre à s’en servir. C’est dans ces conditions qu’en 2003, Stéphane Brosse et Pierre Gignoux avaient réalisé à ski une très belle performance dont il leur est toujours possible de s’inspirer.  Leur espérance de vie s’en trouvera singulièrement rallongée et ce sera toujours mieux que de lever les bras au ciel en fustigeant l’atteinte aux libertés. Ou de brocarder l’édile de Saint Gervais dans une posture semblable à celle qui avait suivi la décision de mettre des gendarmes au dessus de Tête-Rousse afin de résoudre le problème du camping sauvage au Goûter. Une décision désagréable dont personne n’était fier mais dont les effets bénéfiques sont aujourd’hui appréciés par tous.