Depuis la fin 2018, la profession est en ébullition. Le tocsin résonne dans les vallées et même au-delà  !

Pour certains, le renforcement des dispositions de la loi sur le tourisme de 2009 survenu en été 2018 ferait des guides de haute montagne des organisateurs de voyage dès lors que l’activité proposée inclurait une nuitée. A la lumière de cette affirmation, la moindre ascension au départ d’un refuge tomberait sous le coup de cette loi, entraînant des conséquences « kolossales » bien identifiées par les premiers concernés : obligation de se restreindre à l’activité d’une journée, de devenir sous-traitant d’une agence ou de se doter d’un statut d’agent de voyage avec, dans ce cas, un changement de régime de responsabilité, de fiscalité, assortit d’une obligation d’engagement financier quasi insurmontable. Bref, un désastre…

Pour d’autres, très optimistes, l’inquiétude n’est pas de mise, les modifications de la loi ne sont que des ajustements de détail dont les guides n’ont pas plus à tenir compte que de la loi elle-même. Amateurs de risques, réjouissez-vous !

Sans préjuger de la viabilité de l’un ou l’autre de ces points de vue, il est déjà important de rappeler que la question est ancienne et que la position des guides au regard de la loi sur le tourisme a nourri de longs débats.

Concernant les pratiques en « tout compris » impliquant du transport aérien, le recours à un prestataire local, des hébergements en ville ou en vallée, la nécessité de se doter d’un cadre approprié a fait son chemin dans les esprits : les enjeux sont tels en cas de litige grave que beaucoup de guides ont entendu les appels à la prudence formulés par leur organisation professionnelle et se sont adaptés. Pour les activités « classiques » effectuées en Europe et n’incluant aucune autre prestation que l’encadrement d’un projet d’ascension ou de parcours et des réservations de refuges en contrepartie d’honoraires, la grande majorité des guides s’en tient à son statut d’éducateur sportif, professionnel libéral.

Ceux-là défendent leur posture en arguant qu’ils exercent traditionnellement et que l’exigence de sécurité de leur métier nécessite une souplesse incompatible avec la rigidité imposée par ces nouvelles dispositions.

Les autres leur opposent une logique de réalisme en forme de « principe de précaution » :  l’activité de plusieurs jours (raid glaciaire, raid à ski, itinérance en alpinisme…) est perdue, essayons de sauver l’ascension de deux jours et, en attendant cet hypothétique succès, conformons-nous au nouveau cadre. Peu réjouissant et même tristement dépourvu d’ambition…

Il était heureux le guide de 1890 ! ?

Alors, qu’en conclure ? Que tous les intervenants sont évidemment convaincus du bien-fondé de leur opinion. Mais à ce stade, ce n’est pas d’opinions dont les guides ont besoin.

Seuls des arguments incontestables permettront de s’extraire de l’ornière ou s’enlise un débat qui nourrit trop de rancœurs.

L’enjeu capital pour les guides est d’obtenir la reconnaissance de leur légitimité en tant que concepteur et réalisateur de programmes d’alpinisme, de randonnées glaciaires ou de raids à ski, activités inhérentes à leur fonction. Mission impossible ? Rien n’est moins sûr.

Pour y parvenir, nous disposons d’un document de référence qui peut se révéler un allié précieux : l’arrêté du 16 juin 2014 relatif à la formation spécifique du diplôme d’état d’alpinisme-guide de haute montagne. En plus de déterminer précisément prérogatives et modalités de formation, ce texte fondamental comporte diverses annexes dont deux sont particulièrement intéressantes : l’annexe IV « Référentiel de certification » et l’annexe V « Fiche descriptive d’activité ». Ces deux dernières listent d’une part les compétences à acquérir au cours de la formation donnant accès au diplôme et d’autre part les savoirs-faire et savoirs-être inhérents à la fonction de guide de haute montagne.

Voyons ce que l’on peut retenir du « référentiel de certification » (annexe IV)

Dans l’arrêté, il est introduit de la façon suivante :

« Le vocable  » alpinisme  » recouvre l’alpinisme et ses activités assimilées.
Les compétences décrites ci-dessous sont acquises progressivement tout au long de la formation et s’appuient sur l’alpinisme. Ces compétences sont certifiées au cours et à l’issue des stages collectifs de formation organisés par l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme. Elles sont confortées par des mises en situation pédagogiques professionnelles sous tutorat pédagogique, par des mises en situation progressives d’encadrement, d’enseignement, d’entraînement en autonomie, limitées aux prérogatives d’exercice acquises ainsi que par une pratique individuelle de perfectionnement.
 »

 Le référentiel de certification comporte quatre unités capitalisables (UC) comportant des objectifs intégrés (OI) dont la formulation débute par « Être capable de » (EC). Dans cette liste certains items mettent en évidence la légitimité du guide dans la conception et l’organisation d’un projet en alpinisme, sans limite temporelle et dans une perspective sécuritaire, insistent sur la nécessité de prévoir des alternatives et de communiquer avec les publics y compris sur des questions budgétaires.

UC 1 EC de programmer l’organisation d’un projet d’action en alpinisme.
OI 115 EC d’évaluer, lors de la préparation du projet d’action, les dangers objectifs et subjectifs liés à l’alpinisme et d’en gérer les risques de manière appropriée, par la maîtrise, entre autres, de stratégies décisionnelles adaptées.
OI 12 EC d‘élaborer un projet d’action en alpinisme.
OI 123 EC de synthétiser des éléments préparatoires à la prise de décision par un choix d’itinéraires approprié en fonction du contexte.
OI 124 EC de fixer le budget prévisionnel afférent au projet d’action en alpinisme.
OI 13 EC de construire une démarche de communication adaptée au projet en alpinisme et à ses publics.
OI 132 EC d’exposer aux publics les alternatives envisageables au projet d’action en alpinisme.

UC 2 EC de coordonner la mise en œuvre d’un projet d’action en alpinisme.
OI 243 EC d’adapter le projet d’action en fonction de la modification des caractéristiques du milieu et/ou des capacités des publics.

UC 3 EC de conduire une démarche de performance en alpinisme
OI 334 EC de réguler le comportement et l’efficacité des publics dans une perspective de progression en alpinisme.
OI 335 EC de mettre en œuvre des médiations d’ordre stratégique, technique, physique ou relationnel dans une perspective de progression en alpinisme.

UC 4 EC d’encadrer l’alpinisme en sécurité.
OI 421 EC d’évaluer de façon permanente les dangers objectifs et subjectifs lors du déroulement du projet en alpinisme.
OI 422 EC de gérer les risques liés à l’activité de manière appropriée, notamment par un comportement et un choix d’itinéraire adaptés, dans un but de protection des publics et des tiers.

Quant à la fiche descriptive d’activités (Annexe V), elle est introduite comme suit :

« Le guide de haute montagne est un professionnel dont les compétences de haut niveau ont été certifiées. Il est en capacité, notamment en environnement spécifique, de conduire, d’instruire, en sécurité, en responsabilité et en autonomie, tous types de publics pratiquant l’alpinisme et ses activités assimilées, ci-après désignés sous le vocable alpinisme […]. »

 Parmi les 4 grands groupes d’activités professionnelles figurant dans cette fiche descriptive d’activités, deux témoignent de la capacité comme de la légitimité du guide à modifier son organisation pour des raisons de sécurité. De plus, sa légitimité à organiser les activités d’alpinisme, à proposer des programmes à ses publics est attestée par les items du groupe 2 figurant ci-dessous (pour des raisons de lisibilité, seuls les items en lien avec le sujet sont présentés ci-dessous. Pour consulter l’ensemble du référentiel, il est nécessaire de se reporter à l’arrêté).

1. Gérer le risque, dans une logique de sécurité, lié à la discipline de l’alpinisme, notamment dans le cadre de l’environnement spécifique :

Le guide de haute montagne :

anticipe les contraintes propres à l’activité ainsi que les dangers objectifs et subjectifs des milieux d’évolution, notamment en termes de météorologie, nivologie, hydrologie et de terrain ;
modifie le projet en alpinisme en fonction de l’évolution :
– des caractéristiques physiques du milieu, notamment du milieu montagnard ;
anticipe les besoins logistiques spécifiques à l’activité ;

  1. Concevoir, coordonner et conduire un projet d’action en initiation, perfectionnement et entraînement en alpinisme pour tout public :

Le guide de haute montagne :

– propose un programme d’initiation, de perfectionnement et d’entraînement en alpinisme dans le cadre des objectifs du public dont il a la charge ;
communique aux publics les contours du projet en alpinisme, ses limites et ses évolutions éventuelles ;
– élabore des prolongements possibles au projet d’alpinisme ;
– construit une démarche de communication, tant en français qu’en langue étrangère ;
définit les moyens nécessaires au programme d’initiation, de perfectionnement et d’entraînement à l’alpinisme ;
– procède aux choix techniques et stratégiques propres à l’activité ;
assure la sécurité optimale des pratiquants et des tiers ;
remédie aux difficultés, notamment d’ordre stratégique, technique, physique ou relationnel.

L’ensemble des items mis en exergue démontre que le législateur, pour des raisons évidentes de sécurité, a considéré qu’un guide de haute montagne devait aussi être doté de compétences organisationnelles.

Dans cette perspective, la maîtrise de la logistique inhérente à l’organisation de projets d’action en alpinisme doit recouvrir la relation avec les refuges (que le guide doit être à même de choisir lui-même pour garantir la cohérence de son projet et avec qui il doit entrer en contact pour s’informer des conditions locales), la réservation des navettes éventuelles (dont il est seul à pouvoir déterminer les horaires d’acheminement en fonction des contraintes des étapes) ou le choix de remontées mécaniques s’il juge leur usage nécessaire. Formé et certifié pour la conception et la réalisation de projets d’action en alpinisme sans limite de durée et dont il doit maîtriser tous les aspects, le guide est totalement en dehors du champ de l’organisation de voyage au sens de la loi sur le Tourisme.

Le refuge Gervasutti : une destination touristique ?

Un projet en alpinisme ne peut en aucun cas être assimilé à un forfait touristique et, de la même façon que l’organisation d’un séjour de tourisme relève d’une profession règlementée : celle d’agent de voyage….

…l’organisation et la réalisation d’un projet de ski de raid, d’alpinisme, d’escalade ou de randonnée glaciaire relève d’une autre profession règlementée, celle de guide de haute montagne.

Il exite donc bien deux métiers particuliers relevant de législations différentes et cette distinction fondamentale doit être affirmée par les organisations professionnelles des guides comme par l’organisme de formation et leur ministère de tutelle. C’est à ce prix qu’on ramènera la sérénité parmi les professionnels pour le plus grand bien de leur sécurité et de celle de leurs clients.